Debout les bras en croix devant son dressing, Médée se demanda de longues minutes ce qu’elle allait bien pouvoir mettre pour sortir. Comment doit-on s’habiller lorsque l’on va voir sa meilleure pour parler de la relation adultérine de cette dernière ? Voilà clairement une question, que la britannique n’aurait jamais dû se croiser. Étant à peu près sûre qu’elle ne rencontrerait pas le prochain grand amour de sa vie ce soir-là, elle se tourna vers une belle chemise blanche à manches longues et un jeans taille haute, on pouvait difficilement faire plus simple, mais au fond ce look un brin minimaliste lui allait plutôt bien. Bien qu’était censée avoir la garde de Télémaque ce week-end là, la trentenaire avait laissé ce dernier retourner chez Abraham afin qu’il puisse faire la connaissance de la famille de la nouvelle épouse de son père. A défaut d’avoir à gérer un adolescent de treize ans, elle allait devoir jouer à la coach sentimentale pour une israélienne en pleine crise de la trentaine, mais si l'égyptologue riait de la situation et feignait de s’en plaindre, elle ne la gênait pas tant que ça… les vrais potes sont là dans les bons comme dans les mauvais moments et l’européenne ne pouvait décemment pas laisser sa meilleure amie au pire moment possible.

Une fois parfaitement apprêtée, elle quitta son appartement et Sag Harbor pour New-York et le plus précisement pour le Jimmy, un bar chic dans le quartier très bobo de Soho ou la mère célibataire et ses copines avaient pris l’habitude de passer leurs soirées. Ce n’était peut-être pas l’endroit le plus calme de la Big Apple mais son orientation “Lounge” serait parfaite pour échanger autour des états d'âmes de Jill sans pour autant tomber dans la mélodrame et plomber la soirée. Comme souvent, l'ancienne globe-trotteuse arriva au point de rendez-vous avant sa meilleure amie. Ayant réservée en amont, elle s’installa à une petite table pour deux un petit peu éloignée des baffles et donc de la musique. Les secondes puis les minutes commencèrent alors à défiler et la Altman arriva finalement avec un quart d’heure de retard… En la voyant pénétrer dans l’établissement, Médée esquissa un grand sourire et se redressa pour lui faire signe de la main et lui demander de la rejoindre.

« Ha tiens ! Voilà la cougar ! » Dit la chargée d’exposition à voix basse, mais assez fort pour que son amie entende, tout en accompagnant sa petite pique par un clin d’oeil pour bien faire comprendre à Jill qu’elle ne la jugeait pas, qu’il ne s’agissait là que de petites moqueries pour détendre l’atmosphère. « J’ai commandé une bouteille de Prosecco, aller viens assis toi, tu as des choses à me raconter... » En vrai Médée avait encore du mal à se dire que la veille elle avait dû mentir à ce coincé égocentrique d’Ethan pour couvrir les aventures volages de son amie. Au même moment « Because The Night » de Patti Smith commença à résonner dans le bar et l’anglaise ne put s'empêcher de rire aux éclats avant de prendre la psychologue clinicienne dans ses bras et déposer une bise sur sa joue gauche. « Le hasard fait bien les choses... je crois que c'est ta nouvelle chanson ça... » Puis après s'être calmée elle resta proche de son amie avant d'enchaîner « Bon blague à part... dis moi tout ma chérie... je m'inquiète pour toi tu sais ! »

oh Médée, si tu savais à quel point j'ai besoin de te parler. si tu savais comme je meurs d'envie de tout te raconter. promesse tacite que j'ai fais à mon petit brun, de ne rien dire sur notre relation. pourtant je dois briser cette promesse et tout te raconter, comme on le fait depuis maintenant des dizaines d'années. petit chemisier bleu nuit, pantalon noir et escarpins enfilés, je lâche mes cheveux, remet un peu de rouge à lèvres avant d'aller embrasser la joue de Rafael, à moitié endormis sur le canapé. « je vais boire un verre avec Médée, je ne sais pas à quelle heure je vais rentrer. bonne soirée Raf » je tourne les talons alors que mon mari se lèvre à la vitesse de l'éclair, m'attrape par la main, me tire contre lui et vient embrasser mes lèvres. je souris doucement, dépose un dernier bisou sur sa bouche avant de prendre mon sac à main et de sauter dans la voiture. j'ai toujours un peu de mal à le regarder droit dans les yeux en sachant que je pense à un autre. tout comme j'ai parfois du mal à me laisser totalement aller avec Clarke parce que je sais que mon mari m'attends à la maison. enfin m'attends.. que j'ai un mari quoi.

un fois garée, j'entre dans le bar, notre petit QG avec les filles. on a pour habitude d'aller au Jimmy tellement systématiquement, qu'on est presque ami avec le patron. en tout cas, on a toujours le droit à notre cocktail gratuit. c'est avec 15 minutes de retard que je débarque, me débarrasse de ma veste avant de venir déposer un énorme bisou sur ton front. « pardon pardon. » ton salut qui me fais écarquiller les yeux, signe de la main pour te demander de baisser encore un peu plus le son. « shhhhhhhht » que je dis en rigolant doucement. « Prosecco c'est parfait » le vin parfait pour discuter entre meilleures amies de comment tromper son mari depuis des semaines. je pose mes fesses en face de toi, levant les yeux au ciel en écoutant la musique. « ah ah ah, très drôle » que je dis en faisant un sourire forcé. depuis le temps qu'on se connait, on sait très bien qu'aucune de nous ne juge l'autre et que la susceptibilité n'est jamais au rendez-vous. « t'as pas à t'inquiéter, tout va bien » j'attends que le serveur arrive avec nos verres et la bouteille et qu'il se soit éloigné. « bon, qu'est-ce que tu veux savoir ? »

Médée fit la connaissance de Jill au Moyen-Orient, au terme de son adolescence, les deux jeunes femmes devinrent rapidement inséparables. Au fil des années, la petite brune avait appris à déchiffrer les attitudes, les mensonges, les tons de sa sculpturale amie. Ainsi dès que l’israélienne fit son arrivée dans le bar, la britannique comprit que sa comparse n’allait pas aussi bien qu’elle voulait bien lui faire croire. Oh Miss Carrington ne doutait pas tant du fait que la relation adultérine de sa vieille copine la rende malheureuse, au contraire même, peut-être qu’elle lui donnait même une seconde jeunesse, qu’elle reboostait ses batteries, mais le rôle de la femme trompeuse ne lui allait pas vraiment.

Rafael était loin d’être le mari parfait et au fond ce genre de situation lui pendait peut-être un petit peu au nez, mais Jill était tout le contraire d’une garce. Dotée d’un cœur énorme - peut-être un peu trop - dévouée et courageuse, cette dualité devait lui briser le myocarde. « Si je m’inquiète ma chérie… je te crois quand tu me dis que tu passes des bons moments avec l’autre, mais je te connais assez pour savoir que tu n’es pas fait pour ce genre de numéro d’équilibriste. » Avec la tendresse d’une amie, Médée prit la main de sa compagne de soirée avant de la fixer avec ses grands yeux sombres et d’esquisser un grand sourire. « C’est quand même fou tous ces psys qui ne sont même pas fichus de régler leurs propres problèmes, mon père a raison, les cordonniers sont toujours les plus mal chaussés ! » Au même moment, le serveur arriva avec la bouteille de prosecco et la déposa sur la table de l’improbable duo avant de remplir deux verres, puis de s’éloigner.  Le regard à la fois pétillant, malicieux, la responsable de l’aile égyptienne du Metropolitan Museum avala quelques gorgées d’alcool et reprit : « Quoi qu’il en soit tu dois savoir que je suis là… mais en bon Jiminy Cricket je ne vais pas m’empêcher de te gronder quand je trouve que tu pars en vrille… »