(tw : avortement)
Elle a l’impression qu’elle va étouffer. L’impression que son cerveau ne va jamais s’arrêter de faire naître toutes ces pensées. Que sa respiration ne va pas s’apaiser, que son cœur ne va pas battre moins fort. Elle voudrait presque crier, dans l’espoir que cela fasse un peu moins mal. Mais elle prend sur elle, Arlo. Elle a besoin de marcher, alors elle est rentrée à pied – même si cela lui a fait une trotte, tellement qu’elle en a des ampoules aux pieds, maintenant. Mais elle en avait besoin. Elle avait besoin de respirer, elle avait besoin de s’aérer l’esprit. Besoin d’essayer de s’apaiser, se calmer, même si c’est peut-être vain. Elle était bouleversée, Arlo, quand elle a quitté le restaurant de l’hôtel. Elle était bouleversée, quand elle est partie, presque en furie – faisant tout de même de son mieux pour rester maîtresse d’elle-même, prétextant qu’elle se sentait juste mal, qu’il fallait qu’elle rentre chez elle. Cela ne lui ressemble pas, pourtant, et peut-être que sa supérieure a été surprise, sur le coup. Ce n’est pas le genre de la blonde de se trouver des excuses, pour manquer le travail. Mais sa supérieure n’a pas insisté, peut-être parce qu’elle était pâle, Arlo, peut-être parce que cela se voyait que quelque chose clochait.

Maintenant, elle est là, dehors, à marcher encore. Elle est juste repassée chez elle, en vitesse, pour se changer – mettre un sparadrap sur ses ampoules, démaquiller son visage, ses yeux surtout. Enlever sa tenue de travail, pour se mettre plus à l’aise. Elle était rassurée d’être seule à l’appartement, quand elle est rentrée, Arlo – elle n’aurait pas pu assumer, endurer les questions. Elle n’y est pas restée bien longtemps, de toute façon. Elle est vite repartie, en direction d’un endroit bien précis – celui où elle devait retrouver sa sœur, contactée en panique sur le chemin du retour. C’était son premier réflexe, en partant. Parce que Kinsley, elle sait tout ; parce que Kinsley, avec elle, elle a tout vécu. Elle était là, aux pires de ses instants. Elle était là, quand elle s’est sentie sombrer. Elle était là, quand elle est allée avorter. Maintenant, elle sait pourquoi Hasan était absent. Maintenant, elle sait pourquoi il ne lui a pas parlé pendant plus d’un an. Elle connaît – plus ou moins – les raisons de son silence. Mais maintenant, Hasan doit la détester. Parce qu’elle a été amère, Arlo, parce qu’elle l’a cherché, provoqué. Parce qu’elle l’a probablement poussé à bout, et voilà pourquoi la vérité a éclaté. Elle se sent horrible, elle regrette, et elle a l’impression d’avoir tout gâché, Arlo – comme si tout ne l’était pas, déjà. Elle prend volontiers tous les torts, sans penser à tout ce qu’elle reprochera ensuite à Hasan. Plus tard, quand elle aura pris du recul, quand elle aura tout compris. Plus tard, quand elle aura retrouvé ses esprits. Mais pour l’instant, ses pensées vont dans tous les sens, incapables de se taire – et elle a beau marcher, marcher, pour rejoindre le bord de mer, rejoindre le rocher où avec Kinsley, quand elles étaient gosses, elles allaient toujours jouer, son esprit ne veut pas s’arrêter de fonctionner. Elle a des larmes qui coulent sur ses joues, et elle se déteste pour être si pathétique, si pitoyable – tel est son cruel avis à son égard. Quand elle arrive, elle finit par s’asseoir, dans un creux du rocher, un peu à l’abri des regards. Attendant la venue de son aînée. Elle ne tarde pas à entendre des bruits de pas, d’ailleurs. A voir apparaître Kinsley. « T’es venue vite. » C’est tout ce qu’elle trouve à lui dire, Arlo. Sur le moment. Pour ne pas éclater en sanglots, à nouveau. Pas tout de suite, du moins. Elle aimerait bien être au moins un peu forte, Arlo.

waiting on a miracle
(@Kinsley Mansfield)

(tw : avortement)
En un an, elle avait eu le temps de tout imaginer. Le pire, surtout. Mais aussi, ce qui était réaliste – que Hasan avait été lâche, qu’il avait voulu rompre sans le dire officiellement. Elle avait imaginé d’autres choses, des raisons qui excusaient Hasan, qui expliquaient son silence. Elle avait bien remarqué, sur les réseaux sociaux, qu’il ne postait plus rien – parce qu’elle était restée là, pendant des mois, à attendre un signe, à stalker comme une débile, alors qu’il s’était peut-être tout simplement créé un autre compte. Elle n’avait pas eu le droit à une véritable fin, Arlo. Elle n’avait eu aucun mot. Elle n’avait pas eu une seule explication. Comme si elle ne le méritait pas. C’est ainsi qu’elle l’avait ressenti, la blonde. Qu’elle n’était pas assez digne d’intérêt, qu’elle n’était pas assez importante pour mériter une rupture en bonne et due forme. Elle aurait pourtant eu besoin de ce point final, la Mansfield. Besoin d’un point final pour aller vraiment de l’avant. Pour pouvoir tourner la page. Pour pouvoir accepter. Au lieu de cela, elle a l’impression que le silence de Hasan l’a maintenue dans le passé.
C’est du moins, ce qu’elle ressentait.
Elle croyait qu’il était lâche, elle croyait qu’il ne voulait plus la voir. Elle croyait qu’il la ghostait. Maintenant, elle sait que c’était plus compliqué que cela.

Il lui faut un moment pour comprendre, pour digérer. Pour l’instant, Arlo, elle est juste complètement bouleversée. Cela ébranlerait n’importe qui, non ? Hasan est réapparu. Hasan, pourtant disparu. Il est comme un fantôme, qui revient la hanter. Dans le fond, il n’a jamais cessé de le faire, depuis un an – mais cette fois, c’est différent. Il est là, bien vivant. Et leurs retrouvailles n’ont pas été des plus joyeuses. Leurs retrouvailles n’ont pas été des plus calmes. Elle en a encore le cœur qui tambourine, trop fort, dans sa poitrine. Elle en est encore toute secouée, Arlo. Elle n’a même pas su rester travailler. Elle l’a cherché, peut-être, avec ses piques et ses provocations, ses allusions. Elle l’a cherché, parce qu’il est revenu, exactement comme il est parti : sans un mot. Sans rien dire. Sans rien expliquer. Et si elle ne l’avait pas poussé un peu à bout, il ne lui aurait peut-être rien dit, Hasan. Mais maintenant, elle sait – et Arlo, elle ne sait pas trop ce que cela change.
Voilà pourquoi elle est dans cet état. Voilà pourquoi, assise là, contre ce rocher où elles ont toujours aimé se retrouver, avec Kinsley, elle essaie encore de comprendre ce qu’il s’est passé. Parce qu’elle ne comprend pas, malgré la douleur, malgré la panique, malgré son bouleversement. Il y a encore trop de questions qu’elle se pose, Arlo. Trop de questions qui demeurent sans réponse. Elle avait besoin d’en parler – et c’est sa sœur, qu’elle a contactée. Sa sœur, parce qu’elle sait tout, parce qu’elle était là dans les pires moments, y compris pour l’avortement. Elle l’attend alors, patiemment. Mais Kinsley arrive plus vite qu’elle ne l’imaginait, et dans le fond, elle en est soulagée, Arlo. Sans attendre, sa sœur la serre dans ses bras, et cela lui fait du bien. Elle laisse tomber sa tête contre l’épaule de son aînée, et cela l’apaise, quelques instants. Atténue au moins un peu son anxiété et les battements violents de son cœur. Puis Kinsley reprend la parole – et sa légèreté, elle aussi, lui fait du bien. « Ravie de t’avoir permis de faire un peu de sport. » Elle essaie de rire aussi, de plaisanter, mais le cœur n’y est pas. Son léger sourire s’efface, bien vite. Elle se sent triste, Arlo, et désemparée – elle qui avait fait tant de progrès pour avancer, depuis quelques temps, elle a l’impression de repartir de zéro. « Fais attention, quand même. » Elle saisit bien le second degré de sa sœur, mais Arlo, elle peut être cruellement premier degré quand il s’agit du bien-être de ses proches, de ceux qu’elle aime. Elle aussi, elle veille à sa façon, sur Kinsley. « Hasan m’a parlé. Fallait changer des nappes au restaurant pour un événement, parce que ça plaisait pas à une invitée. » Et qu’il fallait faire des courbettes, tout changer pour que tout leur plaise. Tout changer, sans râler. « Il était en prison. Tout ce temps. » Voilà. S’il a été aussi silencieux, s’il n’a jamais répondu à ses messages, c’est parce qu’il était en prison. Pourtant, cela ne résout rien, entre eux. Un an a passé et ils ne sont plus tout à fait les mêmes. Et, surtout, le ton est monté dans cet échange. Alors même, à l’heure actuelle, Hasan doit la détester. Et elle, elle ne sait pas. Elle ne sait plus, Arlo. Il est sans doute encore trop tôt.

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(@Kinsley Mansfield)

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Elle n’avait pas voulu alarmer, inquiéter son aînée. Elle n’avait pas voulu la faire paniquer. Mais elle n’avait pas réfléchi, Arlo. Peut-être cruellement égoïste pour ce coup-là – elle avait eu besoin de sa sœur, lui avait envoyé un message, avait demandé si elle pouvait la voir. Pourtant, cela n’est pas si simple, parce qu’elles travaillent toutes les deux, parce qu’elles ont des responsabilités et qu’elles ne peuvent pas partir comme cela, en un claquement de doigts. Elle est partie quand même, Arlo, prétextant qu’elle se sentait mal – et dans le fond, c’était vrai, cela se voyait, qu’elle était perturbée, chamboulée, bouleversée. Elle aurait voulu pouvoir le masquer, mais elle avait senti qu’elle ne pourrait pas y arriver, qu’elle ne voulait même pas essayer. Revoir Hasan, c’était une chose – se confronter à sa froideur, son agacement, en était une autre. Elle l’avait peut-être cherché, poussé à bout, parce qu’il ne lui donnait pas les explications dont elle avait terriblement besoin. Peut-être ne peut-elle s’en prendre qu’à elle-même, après tout : maintenant, elle a les explications qu’elle réclamait.
Peut-être aurait-il été finalement préférable, qu’elle ne sache jamais.
Parce que maintenant, elle ne sait plus qu’en penser.

Elle n’arrive pas à mettre tout à fait de l’ordre dans ses pensées. Pourtant, ses retrouvailles, sa confrontation avec Hasan, se sont passées il y a plusieurs heures maintenant. Mais elle n’arrive pas à s’en remettre, Arlo, elle a besoin de temps. Besoin de comprendre tout ce qu’il s’est passé. Cependant, dans tout cela, elle n’avait pas une seule seconde imaginé combien elle avait pu inquiéter Kinsley. Elle est là, maintenant, son aînée, toujours le mot pour rire, toujours le mot pour dédramatiser, en mentionnant son cardio. « Désolée de t’avoir alarmée. » Ce n’était pas son intention – loin d’elle l’envie d’inquiéter sa sœur, de l’affecter d’une manière ou d’une autre. Elles sont terriblement proches, les sœurs Mansfield, très douées, très complices – sa tendresse envers son aînée est sans limites. Alors elle ne veut pas lui causer du mal, d’une manière ou d’une autre, elle ne veut pas l’inquiéter inutilement, même si la raison de son propre bouleversement n’est pas n’importe laquelle. Malgré elle, elle ne veut s’empêcher de jouer les mamans – overprotective et tendre, comme à l’accoutumée. Elle se contente d’esquisser un sourire un peu triste, un peu léger, à la taquinerie de son aînée, qui l’appelle justement maman – vieille blague, entre elles, parce qu’entre l’aînée et la cadette, les rôles tendent à s’inverser.
Sans plus attendre, elle finit par tout lui raconter. Par laisser échapper le prénom de Hasan. Lui dire qu’il lui a parlé, qu’il fallait qu’elle change des nappes – parce qu’elle est techniquement sous ses ordres, maintenant. Techniquement, quand il doit gérer un événement qui se passe au restaurant, de l’hôtel géré par sa sœur, hôtel qui appartient à sa famille. Le comble – non seulement elle risque de le recroiser, mais en plus, il faudrait qu’elle lui obéisse, maintenant. L’idée la rendait malade, jusqu’à ce qu’elle apprenne pourquoi il était vraiment absent. Il était en prison, voilà ce qu’elle lui sort, à Kinsley. Kinsley qui lui demande si elle le croit. Question normale, après tout. Instinct de protection, sans doute. « Qui mentirait sur ça ? » laisse-t-elle échapper tristement. Elle ne sait pas ce qu’elle aurait préféré, Arlo. Est-ce que ç’aurait été plus simple qu’il ait juste décidé de partir, de lui-même, lâchement ? Elle le détestait ; maintenant, elle comprend que son départ n’était pas tout à fait de son fait. Alors Arlo, elle ne sait plus que penser. « C’est ça que je comprends pas. » finit-elle par répondre, à la remarque de Kinsley. Ce qu’elle ne comprend pas, c’est qu’il n’ait pas essayé de la contacter, de la prévenir. De lui dire pourquoi il avait disparu. « Il aurait même pu demander à sa famille ou à ses amis de me prévenir, mais il l’a pas fait. » Sans doute parce que leur histoire, aux autres, ils n’en parlaient jamais. Ils la vivaient dans l’ombre, ne la gardaient que pour eux. Craignaient sans doute les réactions et les jugements des leurs, parce que, même s’ils vivent au XXIe siècle, ils ne sont pas issus du même milieu, et cela a toujours de l’importance. « Et maintenant, c’est pareil. Il a pu sortir plus tôt, et il est pas revenu vers moi. Il m’a rien dit. » Rien. Comme si elle ne comptait pas. Elle ne méritait visiblement pas d’explications, Arlo. « Je comprends pas pourquoi. » Elle a sa voix qui se brise, malgré elle. Elle a l’impression de ne plus pouvoir détester Hasan, Arlo. Pourtant, elle lui en veut encore – il y a encore des zones d’ombre, dans toute cette histoire. Et elle est encore bien trop bouleversée pour parvenir à rassembler les pièces du puzzle.

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(@Kinsley Mansfield)

(tw : avortement)
C’était soudain. Un peu abrupt. Elle n’avait pas réfléchi. Elle avait été désagréable. Cela ne lui ressemblait pas, parce qu’elle n’est pas comme cela, Arlo. D’ordinaire, elle est plutôt douce et posée, calme, bienveillante. Mais Hasan l’a remuée – Hasan lui a fait tant de mal, qu’elle n’a pas pu s’en empêcher. C’était plus fort qu’elle ; en elle, il y avait trop d’incompréhension, de questions, de colère. Tant de douleur, aussi. Il est revenu et, évidemment, il ne l’a pas contactée, il ne lui a pas parlé. Il n’a pas cherché à la voir, ni à lui expliquer. C’est comme si elle n’existait pas, comme si elle n’avait jamais été importante. Pourtant, ils se sont aimés, et les quelques mois qu’ils ont passés ensemble ont été sans conteste les plus beaux de sa vie. Il faut croire que ce n’était probablement pas réciproque – que pour lui, ce n’était pas aussi beau, aussi important. A quoi s’attendait-elle, dans le fond ? Elle ne sait pas, Arlo. Depuis le temps, elle devrait avoir compris le message, sans doute. Mais non, elle n’y arrive pas. Elle ressasse, encore et encore. Et là, maintenant, elle se repasse la scène en boucle, se fait plus de mal encore.

Elle voudrait crier, pour extérioriser, pour se débarrasser de ce mal qui la ronge. Elle voudrait, elle ne sait trop quoi, n’importe quoi, pour se sentir un peu mieux. Mais elle a l’impression qu’il n’y a rien à faire, que rien ne suffirait pour la libérer, pour lui faire du bien. Il n’y aura que le temps, pas vrai ? Les explications, maintenant, elle les a – Hasan les lui a données, en partie du moins. Mais ce n’est toujours pas très clair. Il y a toujours des choses qu’elle ne s’explique pas.
Alors leur conversation tourne en boucle dans sa tête.
Elle a prévenu sa sœur, la retrouve maintenant – c’est d’elle, dont elle avait besoin, précisément. Parce que Kinsley, elle sait tout, presque tout ; parce que Kinsley, elle a été là, quand Arlo était au plus bas. Elle connaît tous ses secrets, même ceux que Hasan ne sait pas. N’est pas près de savoir. Le secret principal, c’est peut-être celui qui explique pourquoi la blonde est bouleversée à ce point. Et cela, elle le sait sans doute, Kinsley. Arlo, en tout cas, est soulagée de la retrouver. Dans ses bras, elle se laisse aussitôt aller. Sa sœur, elle trouve toujours les mots pour la réconforter, la consoler – ou, ne serait-ce qu’un peu, l’apaiser. Sa touche d’humour étire un très léger sourire, sur le coup – et même s’il s’évapore bien vite, il a au moins l’effet souhaité, l’espace d’un instant.
Elle explique alors, Arlo. La prison. La vérité. Celle que, de colère, Hasan lui a balancée. Celle qu’il aurait dû lui confier, dès le début. Est-ce qu’elle le croit ? Elle n’a pas d’autre choix. Elle ne pense pas que Hasan mentirait sur cela. « Si c’était pour me protéger, c’est pas la bonne façon de le faire. » Ce serait même la pire, à son humble avis. Elle préfère la vérité, qu’on balance comme on retire un pansement. Cela fait mal sur le coup – et même un peu plus longtemps – mais au moins, on sait, et un beau jour, on peut aller de l’avant. Le silence, l’incompréhension, l’absence d’explications, causent plus de tort et de douleur, dans le fond. Parce qu’on ne sait jamais vraiment. « Et j’ai pas besoin d’être protégée. » Trop fière. Elle est vulnérable pourtant, Arlo. Depuis l’avortement, elle est un peu plus fragile – comme une poupée de porcelaine qui risquerait de se briser à tout moment. Cela, Kinsley doit le savoir – mais Hasan, lui, comme tout le reste du monde, n’en sait rien. De toute façon, il ne semblait pas décidé à lui parler de la prison, visiblement. C’est simplement parce qu’elle n’a pas été tendre avec lui, qu’elle n’a pas lésiné sur les reproches, vis-à-vis de son départ soudain, qu’il a fini par lui dire pourquoi il n’était plus là. Mais il ne le lui aurait pas dit, sinon. C’est ce qu’elle dit à Kinsley, Arlo : qu’elle ne comprend pas. A elle, elle sait qu’elle peut tout dire, sans craindre les jugements. Et les mots, et l’étreinte, la tendresse de sa sœur, lui font du bien. « Je ne me sens pas coupable. Je ne suis pas responsable. J’ai rien fait de mal. » Cela, elle le sait. Quoique parfois, c’est vrai, elle en ait douté. « J’ai juste l’impression que… c’était à sens unique. Que c’était pas aussi important pour lui. Que moi, j’étais pas importante, pas assez pour mériter de savoir. » Et c’est cela, qui fait le plus mal. « Comme si nous deux, c’était qu’du flan. » Rien. Comme s’ils n’avaient jamais fait de plans sur la comète, n’avaient jamais d’une vie ailleurs, ensemble.

Spoiler:

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(@Kinsley Mansfield)

(tw : emprisonnement, avortement)
Voilà la preuve qu’elle n’est pas encore passée à autre chose. Même un an après. Un an ne suffit pas pour oublier, pour guérir, pour cicatriser. Elle le savait, dans le fond, Arlo – elle le savait, qu’elle aurait besoin de plus de temps. C’est fou, car leur histoire n’a pas duré si longtemps, dans le fond. Mais elle a été si passionnée, si intense. Elle s’est aussi achevée brusquement, mais sans un mot, dans le silence. Sans une explication. Et Arlo, elle s’est retrouvée seule avec ses suppositions. S’est fait des films, puisqu’il ne lui restait plus que cela. Elle s’est peint un portrait bien particulier de Hasan, puisqu’il n’était plus là pour se défendre, plus là pour démêler le vrai du faux, rétablir la vérité. Elle avait cru qu’il l’avait juste snobée, même ghostée – qu’il n’avait pas eu le courage de mettre un terme à leur histoire, tout simplement. N’importe qui aurait tiré ces conclusions. Maintenant, elle constate qu’elle a eu tort – ou, tout du moins, qu’il y a une autre raison derrière son silence et sa disparition. Et elle ne sait plus que penser, Arlo. Elle remet tout en question, y compris leur histoire. Elle a l’impression de ne pas avoir assez compté, de ne pas avoir été importante. Pas suffisamment, pour que Hasan daigne la prévenir qu’il était en prison.

C’est Kinsley, qu’elle est allée retrouver. Tout naturellement. Parce qu’elle est sa sœur, parce qu’elle est celle qui sait tout, parce qu’elle a été là, tout le temps – même quand Hasan a disparu et qu’Arlo s’est retrouvée seule avec des milliers de questions. Parce que c’est plus simple de lui parler, parce qu’elle n’a pas besoin de tout répéter, parce qu’elle est déjà au courant de tout. Parce que Kinsley, autant qu’elle, ignorait tout des raisons de la soudaine disparition de Hasan.
Alors c’est elle qu’elle est allée retrouver.
Elle qu’elle avait besoin de voir.
Il n’y a qu’elle, aussi, qui pouvait la réconforter.
Pourtant, dans un autre monde, il y a un an de cela, quand Hasan et Arlo faisaient des plans sur la comète, ils prévoyaient de vivre un jour ensemble à New-York. Et, même si ce n’est pas bien loin des Hamptons, cela aurait signifié, pour la blonde, s’éloigner de Kinsley, de leurs parents, de Jo même, de tous ses amis. Mais cela, dans le fond, elle voulait le faire, avec ou sans Hasan – cultivant ses rêves de MoMA, de la vie new-yorkaise, faite de sorties et d’art. Raté. Elle n’y a pas trouvé de travail. « Peut-être. Si c’est pour ça, c’est pas une raison pour que je lui pardonne. » Personne ne lui a demandé de le faire, pourtant. Elle a le droit de lui en vouloir, à Hasan, le droit d’avoir besoin de temps. « C’est pas faux. » Elle a du mal à cerner Hasan, de toute façon, Arlo. Un an a passé, il est peut-être différent – sans doute, même, après avoir passé tant de temps en prison. Elle aussi, elle n’est plus tout à fait la même. Elle a des maux, des peines, des fêlures, en plus. La marque d’un avortement, qui a été difficile à encaisser. Les mois de silence, l’absence, de son ex, qui l’ont poussée à se sentir comme une merde.
Elle le dit. Ou presque. Elle a l’impression qu’elle n’a pas vraiment compté. C’est peut-être faux – et sans doute que c’est lui, qui a tort d’avoir voulu la tenir ainsi à l’écart de sa vie. Elle ne sait plus que penser, Arlo. Dans son esprit, tout s’emmêle. Dans son cœur aussi. Mais Kinsley, elle essaie de la rassurer, de lui dire qu’elle n’était pas rien pour Hasan. C’est peut-être vrai. Sans doute, même. Elle n’était pas si naïve, Arlo – du moins, elle ne croit pas. « Peut-être que j’ai vraiment compté. Mais il n’a pas su le montrer. » Peut-être qu’il n’en vaut pas la peine. Et cette idée, au fond, la terrifie. Même un an après. « Y’a quand même une partie de moi qui est soulagée qu’il n’ait pas vraiment voulu me ghoster. » avoue-t-elle, finalement. Elle ne quitte pas les bras de sa sœur, apaisée par son étreinte, par sa main dans ses cheveux. Tout à coup, elle a l’impression de n’être plus qu’une gamine de cinq ans qui a besoin d’être rassurée par sa grande sœur. « J’ai pas réussi à lui parler de l’avortement. » finit-elle par murmurer, difficilement. Comme si elle voulait noyer les mots dans les bras de Kinsley. Histoire qu’ils soient, peut-être, un peu moins vrais.