Le livre fait un bruit monstre dans la bibliothèque qui est relativement calme. Le plus gros mensonge sur les bibliothèques, c'est qu'il y fait toujours extrêmement silencieux. Déjà avec Adenora comme bibliothécaire, c'est quelque chose de très compromis étant donné qu'elle n'est pas discrète pour un sou. Avec sa maladresse habituelle, ce n'est pas si étonnant de l'entendre jurer. Ensuite, une bibliothèque est un lieu où il peut y avoir particulièrement beaucoup de personnes, dont certaines qui se connaissent. Enfin, il y a les enfants, à qui on ne peut tout bonnement pas demander de rester tout le temps calme dans un lieu en dehors de l'école. Mais aujourd'hui, il n'y a pas eu grand monde et elle n'a pas non plus une super envie de parler à une foule de gens. Ses meilleures amies suffisent à vider ses batteries sociales depuis sa séparation avec Edward. Et elles veulent tellement lui changer les esprits en lui trouvant de nouveau quelqu'un que tout ce dont Nora se rappelle... c'est qu'elle est seule parce qu'il est parti avec une autre. Le bruit du livre la ramène à la réalité.

Il fait trop silencieux pour qu'elle se change les idées. Puisqu'il n'y a pas beaucoup de monde, personne ne lui en voudra de mettre un peu de musique pour rendre sa mission de catalographie un peu plus sympa. La question parfaitement injuste qu'elle se pose étant celle-ci : pourquoi est-ce que la première chanson qu'elle écoute, c'est une chanson d'amour ? Elle pousse un soupir en faisant une moue. Tant pis, la catalographie attendra. Elle éteint tout aussi vite la radio et son regard bleuté examine la salle.

Tiens, un visage de plus en plus récurrent est assis sur un des fauteuils de la salle. Dans un monde où la plupart des gens ne pensent qu'à eux, Nora s'est mis à penser que le meilleur moyen de résoudre ses soucis... c'était en aidant les autres. Bien sûr, elle ne peut pas certifier que le jeune homme vient à cause d'un problème, mais a priori, il n'est pas adhérent et n'emprunte pas de livres. Et puis merde. Elle a juste cette impression qu'elle pourrait aider quelqu'un, et en cet instant, ça lui ferait vraiment du bien à elle aussi de se rendre utile. Aies l'air naturelle, Nora.

Innocemment, la brune prend des livres entre ses mains et se dirige près des rayons, fait comme si depuis le début elle voulait ranger des livres. Or, elle remarque très vite qu'elle n'est pas du tout dans le bon rayon pour ces bouquins. Bha bravo, en plus d'être d'indiscrète, t'es débile. Pendant un instant, elle songe à faire un repli stratégique mais quand elle remarque qu'il la regarde... elle sait qu'elle doit faire quelque chose. Alors, elle lui offre son plus beau sourire.

-Bonjour ! Vous êtes nouveau ici, non ? Enfin, j'imagine, ça ne fait pas longtemps que je vous vois à la bibliothèque. Je suis Adenora ! La bibliothécaire, du coup, si c'était pas assez visible, finit-elle par dire en riant très nerveusement. Comment j'ai pu réussir mon entretien d'embauche, déjà ?

De ce qu'elle sait, il y a quelques choses qui relient les âmes solitaires et les bibliothèques. Gamine mal dans sa peau à cause de la brutalité de son père, gamine qui s'est elle-même exclue du reste du monde car il semblait trop cruel, elle a trouvé une place dans ce lieu qui rassemble tous ceux qui veulent lire seuls. Elle se rappelle avoir lu dans des fauteuils à côté d'inconnus, et d'avoir senti cette sensation d'appartenir à un endroit, sans même y vivre, sans même y connaître tout le monde. Sa maison n'a jamais été réellement une maison, plutôt un logement en attendant de partir vers un endroit meilleur. En attendant cet endroit, elle est venue ici dès qu'elle l'a pu, et a vécu tellement de vies, ressenti tellement d'amour différents. Maintenant qu'elle y travaille, chaque jour qu'elle passe les portes, elle espère apporter un peu de réconfort à chaque personne qui vient pour lire, passer le temps, échapper à la dure réalité de la vie. Dans un mélange d'égoïsme et d'altruisme, elle rêve de pouvoir aider quelqu'un comme la bibliothécaire ─ qui est aujourd'hui sa cheffe ─ l'a aidée auparavant.

Adenora, elle veut croire au destin. Elle veut croire qu'un jour, elle trouvera quelqu'un et l'aidera. C'est pour ça qu'elle l'accoste, cet usager qu'elle a vu à quelques reprises sans réellement lui parler, au-delà des simples politesses. Elle se trouve toujours un peu bête quand elle doit parler aux autres, mais si elle ne se lance pas, elle n'avancera jamais. Et ses amies savent à quel point elle a besoin d'avancer, d'oublier le cœur en vrac avec lequel elle se ballade chaque jour, qu'elle supporte tant qu'elle peut.

-Enchantée aussi ! Ça fait toujours plaisir de voir des nouvelles personnes, sourit-elle sincèrement.

Avoir des nouveaux habitants, c'est indéniablement un vent de fraicheur. Ça lui évite aussi les gens qui lui demandent encore "et ton copain alors ?", et après le "et tu vas mieux depuis ?" quand elle leur apprend la nouvelle. Elle se rappelle très bien que ça a fait le commérage des petits vieux, lorsqu'elle a arrêté de porter sa bague de fiançailles. Au moins, elle a gardé le chat, son bon petit Groot. Elle dépose la pile de livres pour éviter de faire des quelconques ravages avec ─ c'est un miracle qu'aucun usager n'ait été assommé de sa faute.

-D'habitude, il y a quand même un peu plus de bruit avec les enfants qui viennent. Personnellement, j'aime bien voir un peu plus de vie dans le coin, mais je me rappelle que j'adorais être ici quand j'étais enfant. Je m'installais dans le fauteuil, avec un livre plus lourd que moi, et je ne sortais qu'à la fermeture, finit-elle par rire en secouant doucement sa tête. Si vous voulez, on a d'autres ouvrages sur New York. Et je peux peut-être en trouver dans une langue étrangère. Sinon, je peux faire de mon mieux pour aider, mais je ne compterais pas sur mon sens de l'orientation. Et je parle certainement trop, désolée, rougit-elle en cachant le plus possible la tête dans son pull, comme si elle était une enfant.