Elle avait besoin de s’évader, de prendre l’air, un peu. L’envie aussi de connaître un peu mieux le coin, les habitants aussi. L’envie de se sentir moins à part, de ne surtout pas se sentir exclue – peu désireuse d’être vue comme l’une de ces nouveaux riches qui s’installent dans le coin, mais ne font pas partie du même milieu. Et même si la famille de Nick est issue de ce monde-là, elle sait très bien, Aina, que ce n’est pas son cas. Cela, elle ne l’a jamais oublié – n’en déplaise aux tabloïds qui aiment à dire qu’elle a oublié les siens, qu’elle les a rejetés, qu’elle les méprise, sans savoir ce qu’elle a enduré. Sans savoir combien ils l’ont laissée tomber. Anyway. Ce n’est pas le moment d’y penser, mais à l’approche des fêtes de fin d’année, Aina, elle ne peut pas s’en empêcher.

Nick, aujourd’hui, il est toute sa famille. Tout ce qu’elle a, dans le fond. Parce qu’elle n’a plus les Rosén, parce que les Hamilton ne l’ont pas vraiment accueillie à bras ouverts. Elle ignore si Nick restera dans les Hamptons jusqu’aux fêtes, dans le fond – lui qui semble décidé à rester dans le coin un peu plus longtemps, ou du moins, d’être un peu plus présent. Si cela se trouve, elle se retrouvera toute seule avec ses chats à déprimer devant le sapin, dans une maison trop vide, trop grande.
Mais elle essaie de rester positive, Aina. Aujourd’hui, elle a voulu se rendre au petit marché de Noël installé sur la côte – l’occasion, peut-être, de trouver un petit quelque chose à offrir à son époux, à quelques-uns de ses amis. Cela serait plutôt de l’ordre du symbolique qu’autre chose, mais elle trouverait cela mignon – loin de tous les beaux cadeaux qu’elle aurait pu trouver dans les grands magasins new-yorkais, et qu’elle achètera de toute façon quand même. Elle arrive donc au petit marché, Aina, et elle constate qu’il y a pas mal de monde, plus qu’elle ne l’imaginait. Elle commence à contempler les stands, émerveillée, mais faisant tout de même attention à là où elle met les pieds – quand soudain, on la bouscule sans ménagement. « Mais vous ne pouvez pas faire attention ? » ne peut-elle s’empêcher de lâcher, sans réfléchir. Pas le meilleur moyen de passer inaperçue dans le coin, mais bon – sans excuses de la part de l’inconnu.e, elle ne peut s’empêcher d’être agacée, Aina.

Le coin lui est encore en parti inconnu. Elle sort, pourtant, Aina – elle se promène, des heures durant, en pleine nature, assez régulièrement. C’est agréable, même – ici, la vie semble aller moins vite qu’à New York. C’est peut-être ce dont elle avait besoin : s’éloigner de la ville, prendre un peu de recul, se poser et surtout se reposer. Jamais elle ne s’est autant félicitée de l’achat de la villa, dans le coin – jamais elle ne le regrettera, surtout, Aina. Pourtant, Nick mange toujours cruellement à l’appel – quoiqu’il soit revenu à la maison depuis quelques temps. Mais la solitude est un peu moins pesante. Et pourtant, la voilà qui se rend seule à ce marché de Noël, qu’elle aurait pourtant adoré découvrir à deux. Inutile d’espérer que son mari puisse l’accompagner – elle savait qu’il était trop occupé.

La voilà maintenant, qui déambule dans les allées de ce petit marché de Noël – qui, elle doit l’admettre, a beaucoup de charme. Plus qu’elle ne l’imaginait. C’est une belle surprise, en somme. Comme un moment, hors du temps. Un moment où elle aimerait bien oublier tous ses doutes et ses soucis, Aina. Mais ce n’est pas si simple. Peut-être est-ce elle, qui est trop à côté de la plaque. Elle, qui, dans le fond, aurait faire plus attention – quand bien même on lui est rentré dedans. Il n’empêche que les torts sont peut-être partagés. En tout cas, elle laisse échapper quelques mots un peu froids. Mais l’homme, un peu plus diplomate, lui répond d’une façon qui la décontenance – mais dans le fond, pas en mal. « C’est vrai. On pourrait. » répond-elle en soupirant – non pas à l’intention de l’inconnu, mais plutôt à l’égard de sa propre impatience. « Ce n’est vraiment pas le moment de se prendre la tête. » réalise-t-elle alors, regardant à nouveau les stands qui les entourent, entendant toujours les chants de Noël et les gens, joyeux, autour d’eux. Les fêtes approchent, ce serait dommage de tout gâcher. « Excusez-moi. » Il faut croire que parfois, Aina est capable de laisser de côté la diva – de reconnaître ses torts et d’être diplomate.

Elle est quelque peu à fleur de peau. Un tantinet sur les nerfs. Encline à se prendre la tête. C’est presque comme si elle n’attendait que cela – mais elle ne le veut pas vraiment, bien évidemment. C’est juste que tout ne va pas pour le mieux, ces temps-ci. C’est juste qu’elle trouve le temps long, se sent seule et délaissée par un Nick qu’elle juge trop souvent absent. C’est juste qu’avec le film annulé, elle a trop de temps libre et se retrouve trop facilement à penser. Et ses songes n’ont pas toujours que du bon à lui apporter. Dans le fond, elle ne sait pas trop ce qu’il lui faudrait pour sortir de cet étrange état d’esprit, dont elle n’a pas l’habitude et sur lequel elle ne sait pas vraiment mettre de mot, Aina.
Au moins, elle ne reste pas à déprimer, toute seule, chez elle.
Elle sort, Aina. Elle essaie de voir du monde.

Elle est venue à ce marché de Noël, aujourd’hui. Du monde, il y en a ici. Et pourtant, cela ne suffit pas vraiment à lui changer les idées. Au contraire, elle manque déjà de se prendre la tête avec un homme qu’elle vient de croiser, ou plutôt, qui vient de la bousculer. Ou bien était-ce elle ? Elle ne sait plus, désormais, mais elle veut bien admettre que l’heure est à la bonne humeur – c’est mieux que de s’enguirlander. Alors elle peut reconnaître ses torts, Aina. Et puis aussi, elle doit l’admettre : c’est agréable de tomber sur quelqu’un de bienveillant, de diplomate – plus qu’elle ne l’est elle-même, sans doute. Elle lâche un rire, à ses mots, Aina. C’était inattendu, et pourtant, c’est probablement pile ce dont elle a besoin. « Vraiment ? » Dans le fond, elle n’aurait peut-être pas été aussi clémente que lui, s’il avait réagi comme elle l’a fait. Elle peut tout de même être dotée d’un mauvais caractère, la brune. « Mais je suis d’accord, oublions. » C’est déjà le cas, dans le fond. Sinon, elle ne rirait pas de cette façon. « C’est vrai. Parfois, c’est un peu too much et c’est fatigant. Surtout les chants de Noël, d’ailleurs, quand on les entend dix fois. » Elle est bien contente de vivre à l’écart du centre-ville, des rues où des chants de Noël sont diffusés presque jour et nuit. Sinon, elle en deviendrait dingue, Aina. « Finalement, c’est bien, Noël, mais à petite dose. » Et quand c’est terminé, c’est bien aussi. Parce que c’est bien fatigant, mine de rien, les fêtes de fin d’année.

Ici, elle aurait pu constater plus âprement encore sa solitude. Se rendre compte qu’une fois encore, les choses ne changeaient pas – qu’une fois encore, elle finissait déçue, Aina. Pourtant, elle aime à être seule, elle-même, parfois. Elle doit l’admettre, Nick et elle ne sont pas non plus du genre à rester collés l’un à l’autre, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Même, quand elle est prise sur un tournage pour un futur film, il arrive qu’ils ne se voient presque pas, pendant des semaines. Peut-être alors est-elle injuste, Aina. Peut-être est-elle trop exigeante, égoïste même. Nick a du travail, il en a toujours eu – ce n'est rien de nouveau.
Dans le fond, c’est peut-être juste elle, en ce moment, qui n’a pas besoin d’être seule. Parce qu’elle traverse cette espèce de crise existentielle, et qu’elle n’est pas si facile à encaisser. Parce qu’elle n’est pas au top de sa forme, Aina.

En tout cas, elle refuse de rester chez elle, à broyer du noir. Elle se force, elle sort, Aina. Elle va faire des balades. Elle découvre, tout doucement, les Hamptons. C’est agréable, c’est adorable, ce petit marché de Noël. Toutefois, la rencontre qu’elle vient de faire était à deux doigts de tourner au vinaigre. Mais maintenant, ça va. « Ne parlez pas de malheur. » qu’elle plaisante en riant aussitôt, la brune. Elle en rit, mais ce n’est pas si drôle quand elle se retrouve à se farcir ces fameux chants de Noël. Au moins, l’inconnu et elle semblent plutôt bien se comprendre, sur ce coup-là. Et sur Noël, même, en général. « Je vous comprends. On a fait ce choix en connaissant les risques. » Cela l’amuse, finalement. Cela lui change aussi les idées. Finalement, c’est pile ce dont elle avait besoin, Aina. Elle regarde alors le sac qu’il secoue doucement. « Non, pas vraiment, je viens seulement d’arriver. » Elle ignore, alors, si la pêche sera bonne. « Qu’est-ce que vous avez trouvé, vous ? Vous avez des suggestions ? » demande-t-elle, avec un sourire sincère. Bien plus calme, maintenant. L’animosité a disparu. Et c’est tant mieux. « Je m’appelle Aina, au fait. » Pourquoi pas se présenter, après tout ? Cela commence à faire un petit moment qu’ils échangent, en fin de compte.